TRAITER ET COMPRENDRE LA DISSOCIATION D’ORIGINE TRAUMATIQUE
Conseils pour les Victimes
1. UN MÉCANISME ADAPTATIF POUR SURVIVRE AU TRAUMATISME
La dissociation, cette sensation de déconnexion du moment présent, est une réponse naturelle que beaucoup d'entre nous expérimentons à divers degrés. Il peut s’agir de se perdre dans ses pensées pendant une tâche ennuyeuse, ou d’être ailleurs pendant une conversation. Ces formes légères de dissociation sont normales et peuvent même nous aider à gérer le stress du quotidien.
Cependant, après un traumatisme complexe, comme les violences sexuelles dans l'enfance, la dissociation peut devenir un moyen constant de se protéger contre des souvenirs ou des émotions trop difficiles à affronter. Si cela vous parle, sachez que cette déconnexion est un mécanisme protecteur que votre esprit a développé pour vous aider à survivre. Ce n’est pas une anomalie, mais une façon de faire face à des circonstances qui étaient intolérables à l'époque.
2. UN SPECTRE D'EXPÉRIENCES DISSOCIATIVES
La dissociation se situe sur un spectre. Cela signifie que vos expériences peuvent varier d'un moment à l'autre, et que vous n'êtes pas seul.e dans cette situation. Voici quelques exemples pour vous aider à reconnaître différentes formes de dissociation, sans vous inquiéter si tous ces symptômes ne vous concernent pas. L’expérience de chacun est unique.
- Déréalisation : Le monde autour de vous peut sembler flou, comme un rêve.
- Dépersonnalisation : Vous pouvez avoir l’impression d’être un spectateur de votre propre vie, déconnecté de vous-même ou de vos actions.
- Amnésie dissociative : Certaines personnes peuvent oublier des événements traumatiques ou même des périodes entières de leur vie.
- Fragmentation de l’identité : Dans des cas plus rares, certaines personnes peuvent ressentir comme si différentes parties d’elles-mêmes prenaient en charge différents aspects de leur vie.
Ces formes plus graves de dissociation, comme le trouble dissociatif de l’identité (TDI), nécessitent une intervention spécialisée. Mais il est essentiel de se rappeler que même si vous ne vivez pas ces symptômes, toute forme de dissociation mérite d’être abordée avec douceur et patience.
3. LA DISSOCIATION DANS LA VIE QUOTIDIENNE
Si vous avez vécu des violences sexuelles dans l'enfance, vous avez peut-être remarqué.e que la dissociation peut perturber des aspects importants de votre vie. Vous n’êtes pas seul.e avec ce ressenti. Beaucoup de survivants expliquent avoir des difficultés à rester présents dans des moments importants ou à créer des liens émotionnels profonds :
- Difficulté à rester présent : Vous pouvez vous sentir "déconnecté" ou "dans un brouillard" pendant des moments importants, perdant ainsi votre capacité à interagir pleinement avec votre entourage.
- Problèmes relationnels : La dissociation peut rendre difficile la création de liens profonds, car il est souvent difficile de rester émotionnellement impliqué dans les interactions.
- Fonctionnement émotionnel perturbé : Les émotions peuvent sembler absentes (état d'engourdissement émotionnel) ou, au contraire, surgir de manière incontrôlable.
La dissociation peut se manifester dans différents aspects de votre vie quotidienne :
- Dans la vie professionnelle : Imaginez que vous êtes au travail et que vous devez présenter un projet important. En raison de la dissociation, vous pouvez vous retrouver à "déconnecter" au milieu de la présentation, perdre le fil de vos pensées, ou même oublier des parties entières de votre intervention. Cela peut avoir un impact sur vos performances professionnelles et votre confiance en vous. Les trous de mémoire et les difficultés de concentration sont fréquents, vous laissant souvent frustré et découragé.
- Dans la vie personnelle : La dissociation affecte aussi les relations personnelles. Par exemple, lors d'une discussion avec un proche, vous pouvez avoir l’impression de ne pas être totalement "présent", comme si vous regardiez la conversation de loin sans réellement interagir. Cela crée souvent des incompréhensions, car les autres peuvent vous reprocher d’être distant ou émotionnellement indisponible. Cela peut également affecter la capacité à exprimer des émotions ou à se connecter de manière authentique.
- Sur le plan émotionnel : La dissociation peut entraîner des moments d'engourdissement émotionnel, où les émotions semblent inexistantes, ou, à l'inverse, des périodes où les émotions débordent de manière incontrôlable. Cela perturbe la régulation émotionnelle, rendant difficile le fait de rester stable face aux défis quotidiens.
4. SE STABILISER : UNE ÉTAPE ESSENTIELLE
Avant de plonger dans des processus de guérison plus profonds, comme le retraitement des souvenirs traumatiques, il est crucial de se stabiliser. Cela signifie apprendre à revenir dans le moment présent et à gérer la dissociation au quotidien. Voici quelques techniques qui peuvent vous y aider :
- Techniques d’ancrage (grounding) : Les exercices d’ancrage vous aident à vous reconnecter au moment présent. Lorsque vous vous sentez déconnecté, concentrez-vous sur vos sensations immédiates (par exemple, la texture d'un objet ou les sons environnants) pour revenir à la réalité.
- Pleine conscience : La pleine conscience vous permet d’observer vos pensées et vos émotions sans jugement, en apprenant à reconnaître les premiers signes de dissociation et à intervenir avant qu’elle ne prenne le dessus.
- Cohérence cardiaque : Cette technique de respiration rythmée permet de calmer le système nerveux autonome et de réduire les symptômes de déréalisation ou de dépersonnalisation.
- Exercices corporels doux : Le yoga thérapeutique, la marche méditative ou la respiration consciente sont des moyens puissants pour reconnecter le corps et l’esprit, en réduisant la déconnexion entre soi et son corps.
Ces techniques sont des outils puissants pour vous aider à retrouver un sentiment de stabilité dans votre vie quotidienne. N'oubliez pas que la stabilisation est un processus continu, et que c’est tout à fait normal de ne pas maîtriser ces techniques immédiatement. Soyez indulgent(e) avec vous-même.
5. LES THÉRAPIES SPÉCIALISÉES POUR ALLER PLUS LOIN
Lorsque vous vous sentirez prêt(e) à aborder des souvenirs traumatiques, plusieurs approches thérapeutiques peuvent être particulièrement utiles pour traiter la dissociation :
- Thérapie des états du moi : Les états dissociés de l’identité doivent être reconnus et réintégrés progressivement. La thérapie des états du moi aide les patients à dialoguer avec ces parties fragmentées de leur identité pour réduire les conflits internes et favoriser l’intégration.
- EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) : L’EMDR est particulièrement efficace pour aider les patients à retraiter les souvenirs traumatiques sans réactiver la dissociation, en stimulant les deux hémisphères du cerveau via des mouvements oculaires ou d’autres stimulations bilatérales.
- TCC centrée sur le trauma : La thérapie cognitivo-comportementale aide à restructurer les croyances négatives liées aux traumatismes, en identifiant les schémas de pensée dysfonctionnels qui renforcent la dissociation.
6. TÉMOIGNAGES : METTRE DES MOTS SUR L'EXPÉRIENCE DE LA DISSOCIATION
L’expérience de la dissociation peut sembler un peu abstraite. Voici quelques témoignages de personnes ayant vécu différents degrés de dissociation et qui ont mis des mots sur comment ce manifeste cette expérience pour eux :
- Zoning out : “Parfois, en réunion, je me rends compte que je n’ai aucune idée de ce qui a été dit pendant les 15 dernières minutes. Je suis physiquement là, mais c’est comme si mon esprit avait complètement décroché.”
- Dépersonnalisation : “C’est comme si je me regardais vivre. Je sais que c’est mon corps, que ce sont mes mains qui bougent, mais tout semble lointain, comme si je n’étais pas vraiment là. Je me sens vide, déconnecté de moi-même.”
- Déréalisation : “Il y a des jours où le monde entier me paraît flou, comme si j'étais dans un rêve. Les sons sont étouffés, les visages me semblent étrangers. Je ne peux pas m'empêcher de me demander si ce que je vis est réel.”
- Déconnexion émotionnelle : “Quand quelque chose de difficile arrive, c’est comme si une barrière se dressait. Je ne ressens plus rien. Les gens disent que je suis calme et je présente toujours bien. Mais à l’intérieur, c’est le vide total. Je ne suis plus là.”
- Amnésie dissociative : “Je n’ai aucun souvenir de cette année de ma vie. Je me souviens de détails avant et après, mais c’est comme si cette période avait été effacée. Mes proches me disent des choses qui me sont totalement inconnues.”
- Brouillard mental : “Quand j’arrive au cabinet de ma thérapeute, c’est comme si mon cerveau était pris dans un brouillard. Je ne suis plus capable de penser. Je ne sais plus de quoi je voulais lui parler et j’ai du mal à comprendre ses questions. Nous devons régulièrement commencer la séance par de la cohérence cardiaque et de l’ancrage”.
POUR CONCLURE
La dissociation est un mécanisme protecteur, mais elle peut aussi affecter votre vie de manière profonde. Sachez que le rétablissement est possible, et que des techniques comme l’ancrage, la pleine conscience, et des thérapies spécialisées peuvent vous aider à retrouver un sentiment de stabilité et de contrôle.
Si vous vous reconnaissez dans ces descriptions, ou si vous accompagnez des patients dans ce processus, n’hésitez pas à approfondir ces techniques et à chercher un soutien supplémentaire auprès de professionnels formés au psychotraumatisme.
BIBLIOGRAPHIE
Pour aller plus loin, voici quelques ouvrages qui approfondissent la question et nous ont permis d'écrire cet article. Ceux en vert, s'adressent à la fois aux thérapeutes et aux survivants.
- Marich Jamie, Dissociation Made Simple. North Atlantic Books, 2023.
- Fischer Janina, Dépasser la dissociation d’origine traumatique, 2019.
- Boon Suzette, Steele Kathy, Van der Hart Onno, Traiter la dissociation d’origine traumatique, 2018.
- Boon Suzette, Steele Kathy, Van der Hart Onno, Gérer la dissociation d’origine traumatique, 2017.
- Nijenhuis, Ellert, van der Hart, Onno, Steele, Kathy. The Haunted Self: Structural Dissociation and the Treatment of Chronic Traumatization. W.W. Norton & Company, 2006.